samedi 23 octobre 2010

Escrocs mais (pas) trop ?

Un beau matin, je vois apparaître sur mon écran d'ordinateur un spam, sous la forme d'un placard publicitaire que je reproduis ci-dessous :

Source : aujourd'hui.com



Passons sur la grossière faute de syntaxe sur la première ligne du texte : on écrit bien une fois pour toutes (les fois !). Mais bon, le docteur Cohen nous rétorquera que ce n'est pas lui qui a conçu cette pub ; et si ça se trouve, il ne l'a même pas lue avant le bon à tirer. Édifiant ! (1)

J'ai dit "le docteur Cohen", parce que c'est ainsi qu'il nous est présenté dans toutes les émissions (notamment télévisées), où l'on fait appel à sa science. Médecin nutritionniste est la formule qui apparaît généralement sur l'écran. Mais "expert nutritionniste" ?

L'INSERM est un organisme bien connu, signifiant Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale. On y trouve des chercheurs, pas nécessairement médecins, d'ailleurs, dont un grand nombre planchent sur tous les aspects de la nutrition, en se livrant à des études dont on imagine l'étendue et la méticulosité. Que l'on affuble ces spécialistes-là du vocable d'"experts en nutrition" se conçoit aisément. Mais un médecin spécialisé en nutrition, et dont le travail quotidien est de recevoir et conseiller des patients ayant (ou non) des problèmes de poids peut-il s'auto-proclamer "expert en nutrition" ?

Ah oui, on me dira que notre bon Docteur Cohen n'a peut-être pas lu la publicité le concernant, comme pour la faute de syntaxe signalée plus haut, et que, lorsqu'il lira ce blog, il fera rectifier la mention par un : "Ah non, les gars, je ne suis qu'un médecin nutritionniste, pas un "expert en nutrition. Allez, virez-moi ça !"

Plus sérieusement : en quoi consiste le travail de Jean-Michel Cohen ? À recevoir des patients dans un cabinet médical ou à user de sa notoriété de "médecin vu à la télé" pour essayer de nous fourguer un peu n'importe quoi ?

Parce que, sur son message, il n'y a pas qu'un problème de syntaxe : "maigrir une fois pour toute(s)", ça veut dire quoi exactement ? Et sur quelle découverte scientifique révolutionnaire - tout en étant extraordinairement occulte, dans la mesure où personne n'en a entendu parler ! - se fonde ce monsieur pour asséner de telles assertions à la face des gens ?

D'abord, qu'entend-il par maigrir ?

Notre corps est composé de trois éléments principaux sur lesquels nous pouvons agir de manière à modifier notre poids

- l'eau
- les muscles (composés essentiellement d'eau)
- la graisse

Prenons ces trois éléments dans l'ordre :

1. L'eau : on sait que le poids est un élément important dans la carrière de sportifs comme les jockeys, par exemple. Ceux-là vont régulièrement dans un sauna afin de perdre de l'eau, de manière à faire baisser leur poids dans les courses de handicap (chaque cheval se voit attribuer un poids à transporter = jockey + selle). Mais cette perte de poids n'est que transitoire ; le jockey aura vite fait de récupérer cette eau.

2. Les muscles : ils contiennent autour de 60 % d'eau. Donc toute perte d'eau affecte la masse musculaire. Mais on peut aussi perdre du muscle à la suite d'une immobilisation forcée (ex. sportif blessé et immobilisé de ce fait), en raison de l'absence d'exercice, voire de manière plus aiguë à la suite d'une grève de la faim. La fonte musculaire n'est jamais sans danger, dans la mesure où la capacité de l'organisme de résister aux chocs ou de supporter des contraintes physiques (courir, monter un escalier, soulever une charge...) dépend considérablement du tonus musculaire. Par ailleurs, le coeur étant un muscle, on imagine qu'une fonte musculaire aura des répercussions sur cet organe vital ! (Fatty George était un grand musicien de jazz autrichien, mort d'un arrêt cardiaque à la suite d'un programme amaigrissant qui a dû conduire à une fonte musculaire extrême qui a eu des répercussions sur le coeur. Le fait est que  Fatty George avait énormément maigri !).

3. La graisse : toutes les calories excédentaires que nous consommons dans notre alimentation sont converties en réserves d'énergie à travers le glycogène, lui-même converti par la suite en graisse. Ce sont ces bourrelets de graisse qui vont s'installer de manière assez durable sous la peau, voire un peu partout dans l'organisme. Et quand, en nutrition, on parle de "mincir" ou de "maigrir", c'est uniquement cela qui est visé : les amas de graisse, lesquels constituent d'énormes stocks de calories, soit autour de 9000 calories le kilo.

Nous annoncer, comme le suggère la publicité susmentionnée, que l'on va maigrir une fois pour toutes, signifie, en clair, que notre bon docteur disposerait d'une technique permettant 1) de "brûler" la graisse excédentaire présente dans le corps et 2) de ne plus jamais stocker quelque graisse excédentaire que ce soit, ce qui est très osé !

Très osé parce que le stockage de calories excédentaires, et j'insiste bien sur cette formule, suggère un bilan sous la forme d'une addition et d'une soustraction : comme en comptabilité, on aura dans une colonne ce qui est ingéré, et dans l'autre, ce qui est dépensé, l'excédent de calories signifiant un déséquilibre entre ce qu'on ingère (alimentation) et ce qu'on dépense (métabolisme de base + efforts physiques).

En clair, on dit que le métabolisme de base d'une femme adulte tourne autour de 1800 calories/jour, contre 2500 calories/jour pour un homme adulte et sédentaire. Ce sont les calories que notre alimentation doit nous apporter chaque jour de manière à assurer les fonctions vitales de la vie quotidienne. Ce qui veut dire que, pour maigrir (sous-entendu perdre des kilos excédentaires déjà présents !), il nous faudra absolument dépenser plus de calories que nous n'en consommons, et ce, sur une assez longue période. Par ex. 5 kilos de surpoids = 5 x 9.000 = 45.000 calories. Et quand on sait qu'une petite heure de jogging va nous faire perdre autour de 300 calories, on a une petite idée du nombre d'heures (théoriques ; dans la pratique c'est un peu plus compliqué !) durant lesquelles il nous faudra brûler ces 45.000 calories (en théorie : 150 heures = à raison d'une heure par jour : 150 jours = 5 mois), et ce, à la condition expresse de respecter le cahier des charges consistant à dépenser 2800 calories/jour contre 2.500 calories absorbées (différentiel = 300 calories).

On voit donc qu'il faut impérativement une dépense énergétique, sans laquelle rien ne se fera, une dépense ou un régime strict, visant à l'absorption de 300 calories de moins que le métabolisme de base n'en requiert (soit environ 1500 cal. pour une femme et 2200 pour un homme). Dans la pratique, c'est nettement plus compliqué (cf. aérobie, anaérobie) que la simple arithmétique ne le suggère.

Et c'est là qu'on se pose des questions en lisant la prose du bon docteur Cohen, comme celle de tous ses confrères "experts" en amaigrissement.

On nous annonce que c'est plus qu'un régime ; que c'est une nouvelle hygiène de vie... Bien. Mais dans cette fameuse nouvelle hygiène de vie, on ne voit pas du tout le volet "dépense d'énergie". Parce que s'il n'y a pas de dépense d'énergie (via des activités physiques, non évoquées dans la publicité), alors il ne reste plus qu'une simple gestion des calories ingérées (en-dessous du métabolisme basal), ce qui s'appelle un régime et rien d'autre !

Et quand on lit bien la publicité, on découvre que notre bon docteur ne propose rien de mirifique, puisque c'est "une équipe de diététiciennes qui va répondre à toutes vos questions pratiques ou techniques...". Donc, on va avoir droit à de simples conseils de diététiciennes ; on ne voit donc pas en quoi réside la révolution annoncée, et ce, d'autant plus qu'il suffira "d'acheter des produits alimentaires courants... et de les cuisiner de manière plus saine..."



Non mais sans blague ! On imagine l'embarras pour tous ceux et celles qui détestent faire la cuisine, ou qui n'en ont pas le temps, tout simplement !

... "Vous saurez déjouer les pièges de la pub"... Ah bon, c'est tout ? Parce que c'est la pub qui fait grossir ?

... Préserver votre ligne et votre santé... D'abord, on nous dit que "plus qu'un régime, ce programme est un guide". Le problème est que lorsqu'on a du surpoids, on cherche avant tout à le perdre. Mais, par ailleurs, on nous annonce que nous allons pouvoir "préserver notre ligne et notre santé". Sauf que "préserver sa ligne", ça vaut pour quelqu'un de mince et qui entend le rester. Quelqu'un de gros ne pense pas du tout à "préserver sa ligne".

Du coup, on s'interroge : le programme de Jean-Michel Cohen vise-t-il à maintenir le statu quo (les gros(se)s restent gros(se)s et les minces restent minces) ou est-ce vraiment une méthode radicale pour perdre du surpoids une fois pour toutes ?

Observons l'absence de termes précis, à l'instar de ceux que j'utilise moi-même : calories, muscles, graisse, surpoids, calories ingérées, calories dépensées, métabolisme, efforts physiques. Ici, tout est flou et noyé dans un gentil blabla qui ne "mange pas de pain".

Et puis, il  apparaît, gros comme une maison, que le programme de ce bon docteur ne comporte aucun volant lié à l'indispensable activité physique, car s'il est peut-être "expert en nutrition", il n'est pas encore devenu "expert en préparation physique ou en fitness".

Alors, on les perd comment ces kilos en trop, et par quel sortilège physiologique - et découvert par qui ? - parvient-on à maigrir "une fois pour toutes" ?

Tout ça ressemble à une formidable embrouille de la part d'un médecin que la médiatisation semble avoir rendu boulimique au point de le transformer en bateleur de foire. Et il n'est malheureusement pas le seul...


Pour que les choses soient bien claires, qu'on me trouve (à l'INSERM et ailleurs) un seul "EXPERT" en nutrition qui valide les thèses et la méthode de Jean-Michel Cohen et de tous ses collègues bonimenteurs, et je serai le premier, ici même, à faire amende honorable. Dans le cas contraire, j'estime que l'ordre des médecins devrait, de toute urgence, mettre bon ordre à ce "foutoir". Je rappelle, en passant, que les médecins n'ont pas le droit de (se) faire de la publicité (Ça tombe bien, je ne suis pas médecin !). Il fut même une époque, où les médecins passant dans les médias devaient observer un strict anonymat (cf. le fameux "Docteur Europe" sur Europe 1).

Car il serait grand temps de rappeler à certains le bon vieux serment d'Hippocrate : un médecin, pas un vulgaire marchand de poudre de perlimpinpin !



P.S. (1) : À tous les naïfs (mais nos bons "docteurs" susmentionnés sont tout sauf naïfs !) qui croient qu'il suffit de "bien" manger pour rester mince, je suggérerais d'examiner un peu la silhouette des plus grands restaurateurs français et de conclure... A de très rares exceptions près, rien que des obèses et des ventripotents !


Pour illustrer notre propos :


Vous le reconnaissez ? Il s'est présenté à la télévision comme jeune cuisinier occupé à recruter une brigade pour s'installer à Paris. A l'époque, il était tout mince.


Visiblement, notre homme a très bien réussi en affaires, à en juger par sa nouvelle silhouette (surveillez bien ses prochaines apparitions à la télévision !), et les kilos qui vont avec !



Ce dessin tout à fait parlant sert d'illustration à un site gastronomique

Qu'est-ce que je vous disais ?


(1) Il faut croire que mon blog est très visité, en tout cas par les amis du bon docteur Cohen, puisque la bourde syntaxique a été rapidement rectifiée juste après mon signalement, après être restée longtemps visible en ligne !



P.S. (2) :  Dans la rubrique "Qu'est-ce qe je vous disais ?", ne voilà-t-il pas qu'un rapport fracassant vient pointer du doigt (25 novembre 2010) les boniments véhiculés par moult concepteur de régime amaigrissant, et que pour ma part, je dénonce depuis longtemps ?

Quelques lectures, au hasard :

- lexpress.fr
- liberation.fr
- leparisien . fr
- lefigaro. fr


À lire sur lefigaro.fr, ce témoignage : mariefdà l'âge de 36 ans, ayant quelques kilos de trop après 2 maternités, j'ai vu un médecin qui m'a fait faire un régime sans aucun sucre et à 7000 calories par jour !!!!! j'ai repris une ligne parfaite mais depuis ce jour là - j'ai aujourd'hui 68 ans- j'ai pris presque 40 kilos et après chaque régime, j'ai toujours repris plus que je n'avais perdu !!! pour 4 kilos de trop, j'en ai aujourd'hui en tous les cas 35 de trop par rapport à cette période. je suis plus victime d'un médecin incompétent que d'autre chose. En plus j'ai eu droit à tous les médicaments interdits aujourd'hui: isoméride, acccomplia, mediator. Je n'ai pas de graves problèmes de coeur mais plutôt pulmonaires. Bref, je suis un cas typique de ce qu'il n'aurait pas fallu faire. Dommage qu'à cette époque, je n'ai pas pu être informée comme aujourd'hui!

J'ai vu un médecin qui m'a fait faire un régime... Pathétique !

De toutes les déclarations lues et entendues ici ou là, j'en retiendrai une : la plus importante, de Jean-Marie Bourre, membre de l'Académie de médecine (cf. lexpress.fr) : ... l'exercice physique est le paramètre indispensable de toute perte de poids

Ah, quand même !